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(vrai) Récit d'une IVG

Encore en 2020, trouver de réelles informations sur l'interruption volontaire grossesse reste un parcours de la combattante. Entre les sites anti-ivg et les discours divergents, il peut paraître difficile d'y voir clair. On a toujours l'impression que cela ne peut pas nous arriver, et pourtant, 200 000 IVG ont lieu par an en France. Sauf que le jour où cela arrive, nombreuses sont les personnes qui sont tout simplement perdues ...

Une amie m'a proposé avec beaucoup de bienveillance et de gentillesse, de me parler de son expérience de l'IVG, en toute honnêteté et transparence. Je la remercie pour son temps, ses mots, en espérant que cela vous soit utile, ou serve à une amie.


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En Janvier, cela fera un an que j’ai avorté.


Ça faisait 9 mois que j’étais avec Maxime. J’avais mon appart et lui le sien, en plein cœur de Paris, donc autant dire que nous visions chacun dans des studios de 25m2 .

Je venais d’obtenir ma rupture conventionnelle pour me lancer en tant qu'entrepreneure, Le préavis pour mon appart était déposé et je m’installais quelques mois chez mes parents. J’étais en roues libres. Quant à Maxime, il galérait à évoluer dans sa carrière mais des belles opportunités commençaient enfin à se profiler.


Bref, on était à fond sur nos carrières respectives.


Perso, je ne sais pas si je veux des enfants. Je les adore mais de manière très égoïste, je n’ai pas envie que ma vie soit rythmée par les besoins d’un enfant. Je ne me sens pas la force de tout mettre entre parenthèses. Et ça colle aussi très bien avec mes convictions environnementales et sociétales.

Pendant les fêtes de Noel mes règles n’arrivaient pas, ma poitrine gonflait, mon ventre était un peu ballonné de «l’après-fêtes » soi-disant… Le 30 Décembre j’ai fini par faire un test de grossesse qui s’est avéré positif.


A la lecture du test, j’ai fait des blagues sur le scénarios des téléfilms de Noël… j’avais un rire nerveux et je me disais « Ce sont des choses qui arrivent, je ne peux pas le garder, heureusement que l’IVG existe».

Puis quand Maxime est rentré du boulot, je l’ai mis au parfum, et là, je faisais plus de blagues. Je lui annonçais la nouvelle et j’étais morte de honte. Je savais qu’il allait savoir l’entendre et qu’il n’allait pas me laisser gérer ça seule. Mais j’avais honte parce qu’on avait discuté contraception dès le début. Je lui avais indiqué que je ne prenais pas de contraception, et face à son inquiétude je lui avais soutenu que le calcul de mes cycles était fiable.


Lors de l’annonce il a été très calme, il m’a immédiatement soutenue. Il a réfléchi dans son coin puis, ensemble, nous avons évoqué la possibilité de la garder. Nous l’avons rapidement écarté car le garder nous aurait obligé à revoir absolument tous nos plans de vies et de carrières. On s’est dit que c’était pas un cadeau, pour un enfant, d’avoir deux parents frustrés.

Qui plus est, notre couple était récent, on se disputait souvent … Rien ne collait.


Le 31 Décembre je me suis retrouvée à tenter de joindre des centres médicaux pour l’IVG… Tu sais pas qui aller voir dans ce genre de situation. On a tous, dans notre entourage des personnes qui ont vécu ça et qui pourraient nous aiguiller, mais on ne le sait pas forcément. La solitude a commencé dès ce moment-là.


Il y a l’IVG par aspiration qui se fait au bloc, et l’IVG médicamenteuse qui se fait pas prise de comprimés à l’hôpital puis chez toi. Une amie m’avait déconseillé la médicamenteuse dont elle gardait un souvenir traumatisant. Ce qui est compréhensible car c’est à domicile dans les toilettes …


J’appelais des numéros partout dans Paris, personne ne répondait. J’étais pétrifiée. Clairement avorter pendant les périodes estivales… c’est doublement angoissant. Il y a déjà peu de personnes qui veulent pratiquer des IVG, alors pendant les vacances, il n’y a pas forcément de remplaçants.

Maxime a fini par appeler le planning familial qui se trouve à l’hôpital bichat et qui nous a orienté sur les démarches.


Le planning est spécialisé sur ce sujet, le personnel est compréhensif, compétent, accueillant, réconfortant … On me l’avait déconseillé au profit d’une clinique privée … Mais honnêtement ils sont très bien.

Ensuite il faut faire des prises de sang, puis une échographie de datation… Cette épreuve est très dure. J’avais peur que le son soit activé, et d’entendre le cœur. Je n’étais pas allée la faire seule et heureusement. L’écran n’était pas tourné vers moi. Une partie de moi avait envie de voir ce qu’il y avait sur cet écran.


En fait, très tôt après mon test positif, un drôle de processus s’est enclenché chez moi. Je me suis sentie enceinte. Et j’ai ressenti l’envie de le garder. Quand j’étais nue devant le miroir avec ma poitrine archi gonflée et mon ventre qui commençait à gonfler (En principe, 1 mois c’est un peu tôt pour avoir du ventre, mais c’était peut-être les hormones, je ne rentrais plus dans mes pantalons et je n’avais jamais vu mon ventre aussi … rond). Ma décision était prise. J’étais sûre de moi. Mais ça ne m’empêchait pas de me demander le sexe, a quoi je ressemblerais avec un gros ventre, a quoi ressemblerait le bébé, ma vie avec etc . .. J’essayais de m’en empêcher mais j’avais l’impression qu’un instinct plus fort que tout était en train de se développer à une vitesse record en moi. Je ne me reconnaissais pas.

Avorter c’était pour moi donner le droit de vie ou de mort à un individu… J’avais du mal à me le pardonner. Maxime et une amie essayaient de me faire entendre que j’avais tort de me mettre de telles choses en tête, que ce n’était qu’un mini embryon, mais ça ne me faisait pas échos.

Je cherchais des témoignages sur google, c’était une cata. Toutes parlaient de dépressions qui durent des années. En fait, je ne tombais que sur des sites anti-IVG. J’étais morte de peur.

Je ne donnais que très peu de nouvelles à mes proches. Presque personne n’était au courant. Moi qui parle de tout à tout le monde, là je ne supportais pas d’en parler : Ils ne savaient pas quoi dire, ou bien ils me disaient des choses que je savais déjà, ou pire encore ils me donnaient leur approbation …. « Tu fais bien c’est la meilleure décision, comment aurais-tu fait ? »… Ça me mettait hors de moi, je ne leur avais rien demandé. La décision n’appartenait qu’à nous et c’était déjà bien assez compliqué.

Maxime me demandait quand j’allais recommencer à sourire. J’étais triste comme les pierres.

Il est indispensable de se faire entourer. C’est tellement plus facile de rester dans son coin. Mais indéniablement, le soutien d’un(e) ami(e), d’un(e) proche dans ce genre de moment est vital.


Finalement la date de l’IVG est arrivée. J’ai choisi l’ivg médicamenteux car il peut être pratiqué beaucoup plus tôt dans la grossesse alors que l’aspiration nécessite de laisser grandir le fœtus pour bien le voir au bloc.

Maxime m’a accompagné à l’hôpital, j’étais à ce moment-là au point culminant de mon mal-être.

Au premier RDV, un médecin me pose des questions pour s’assurer de ma décision, qu’elle me revienne bien (et pas par influence d’un tiers) etc. J’ai un peu moins apprécié le petit dépistage MST qu’on avait oublié de m’annoncer … t’es au plus mal et on te dit « bon aller, déshabillez-vous on va checker les MST » … J'avais l’impression d’être jugée. Pareil pour la contraception. Qui dit IVG dit, tu repars avec ton ordonnance de contraception. D’un côté je trouve ça tout à fait logique et explicable, et d’un autre j’avais l’impression d’être une chatte qui se fait stériliser chez le véto parce qu’elle est tellement insouciante qu’elle va forcément récidiver la conne. En plus cette gynécologue (parce que j’en ai vu 3 en tout) avait clairement pas de temps à perdre pour me présenter les contraceptions que je n’avais éventuellement pas essayé. Je lui ai dit « Peut-être que le stérilet au cuivre pourrait m’aller, mais j’ai tellement eu de problèmes avec le stérilet hormonale…. » - « Très bien je vous fait l’ordonnance de stérilet. ». Pas l’temps de niaiser. J’étais exaspérée. Mais il faut reconnaître qu’à ce moment-là, absolument tout m'exaspérait.


Avec la deuxième gynécologue, j’étais supposée prendre le premier comprimé : celui qui stoppe les hormones de grossesse. En gros, après cette prise, le fœtus est toujours là, mais il n’est plus vraiment viable. J’ai demandé, avant toute prise de médoc, si je pouvais voir une psychologue, comme on me l’avait laissé entendre. J’étais prête à reporter l’avortmenent s’il le fallait mais je doutais trop. Hyper réactives au planning, 2 minutes plus tard j’étais dans le bureau de la psychologue. J’ai pu décharger tout ce que j’avais sur le cœur, dire à voix haute tout ce que je pensais, mes questionnements. Et ça m’a beaucoup soulagée. Après ça, j’ai pris les comprimés beaucoup plus facilement et voilà. C’était à présent acté et irrévocable. La suite ne m’appartenait plus.

Il me restait la partie physique de l’avortement à domicile (à l’ancienne…), un ou deux jours plus tard. Mais psychologiquement, au-delà de la peur, je me suis sentie immédiatement apaisée.


Deux jours plus tard j’ai donc posé deux ou trois jours de congés, Maxime aussi, et j’ai pris les comprimés qui déclenchent les contractions. J’avais tellement peur de ce qui m’attendais que j’avais acheté des espèces de couches en cas de grosses pertes hémorragiques.

Je n’ai pas très bien réagi au comprimé. Apparemment ça arrive à très peu de femmes, je l’ai vomi 20 minutes après l’avoir ingéré. Je l’avais bien laissé fondre sous la langue ce qui lui a laissé le temps d’agir quand même et fait effet. Les contractions ont commencé dans la foulée. Forcément, en vomissant, les anti douleurs sont repartis… Donc c’était pas une étape facile. J’ai passé une heure environ pliée en quatre dans les toilettes à me vider et à me tordre pendant des successions de contractions. Quand ça allait mieux je retournais me poser dans le canap. Et parfois ça revenait. Niveau perte vaginales (sorry for details), il ne se passait rien… En fait, en plus d’avoir mal réagi au comprimé, chez moi le processus a pris beaucoup plus de temps. Normalement il doit se passer 2 à 4h entre la prise du comprimé et l’avortement, pour moi il s’en est passé 10. Encore une fois, je faisais partie des cas rares. Mais le plus dur était clairement la première heure. Le reste s’est passé avec beaucoup moins de violence. Je ne me suis pas vidée de mon sang, j’ai n’ai pas retrouvé un embryon dans ma culotte … Tout au plus un petit amas. J’ai eu envie de regarder, j’ai jeté un œil 1 ou 2 minutes, puis j’ai tiré la chasse d’eau … ce geste n’est pas très glorieux. Il m’a un peu foutu la honte.


Mais en fait c’était fini. Mes 12 jours au fond du néant étaient finis. J’ai eu un peu mal au ventre deux jours, quelques petites sueurs froides la nuit liées aux hormones. Mais tout s’est radouci, comme si je sortais d’une énorme vague. 10 jours plus tard je reprenais le cours de ma vie normalement (avant ça, j’avais encore un peu de mal, j’étais parfois triste, je fuyais encore un peu les autres). J’ai retrouvé le sourire, Maxime aussi. J’ai retrouvé ma vie comme elle était avant et comme je souhaitais qu’elle soit.


Assez rapidement j’ai commencé à en parler autour de moi, à mes meilleurs amis, qui ne comprenaient pas le manque de nouvelles et les esquives de ma part. J’ai à cœur de raconter qu’il faut vraiment bien se protéger pendant les rapports car l’avortement n’est pas une option. C’est bien entendu un recours et une solution. Mais en amont je regrette de ne pas avoir été plus vigilante. Et quand j’entends des amies tenir le discours de « je compte les jours mais de toute façon, tu sais, je pense que je suis peut-être un peu stérile parce que j’ai jamais eu d’accident » : ON S’EST TOUTES DIT CA. On se met des fausses vérités en tête, on se prend pour des scientifiques … Même si trouver son moyen de contraception est fastidieux, si tu ne veux pas d’enfant, il ne faut pas prendre le risque inutilement.


J’ai fait poser mon stérilet au cuivre peu de temps après, toujours à l'hôpital Bichat, avec une gynécologue exceptionnelle qui m’a posé beaucoup de questions sur mon expérience. Elle était assez surprise de la façon dont ça s’était passé pour moi car ce genre de difficultés étaient vraiment rares. Elle m'a confirmé que la première gynécologue aurait en effet dû passer plus de temps à me présenter les alternatives de contraception qui s’offraient à moi. Elle l’a donc fait. Puis j’ai finalement choisi le stérilet au cuivre mais cette fois avec tous les éléments en main.

A présent, lui et moi on s’entend super bien. Malgré les règles abondantes. J’en ai pour 10 ans de tranquillité !


Début Mars, au premier jour de confinement, Maxime me quittait. Preuve que nos doutes sur la viabilité du couple étaient fondés. Aujourd’hui je suis épanouie dans ma vie d’entrepreneur. Après le confinement j’ai emménagé à Marseille et je suis très heureuse. J’aime cette liberté qu’est la mienne. Elle me rend heureuse et c’est en étant heureuse que je concevrai peut-être un jour un enfant. Mais en tout cas, pas dans la contrainte et l’enfermement d’une vie qui n’est pas choisie.


J’ai parfois eu quelques moments de bad dans les mois qui ont suivi, quelques vagues de larmes à l’annonce d’une grossesse, des envies de quitter un dîner ou une soirée par impossibilité de contenir mes émotions. J’en ai alors parlé à cette amie qui m’avait accompagnée dans toute l’épreuve, je lui ai dit que j’avais besoin de vider mon sac, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, j’ai dit tout ce que je pensais sans tabou. Je lui ai évoqué les remords, la culpabilité, le deuil … j’ai tout lâché. Et je pense vraiment que de tout balancer ce jour-là m’a permis de faire mon deuil (alors que pourtant c’était pas la première fois que je me confiais, mais les fois précédentes je contenais mes larmes et j’essayais de penser à autre chose).


Chaque expérience est unique. Mais j’aurais aimé lire à ce moment-là « je l’ai fait et je ne regrette pas, et non je ne suis pas devenue dépressive »

Donc oui, après un IVG, il y a un deuil à faire. Ce n’est pas une mince décision. Mais ce n’est pas insurmontable. Le plus important et le plus dur est de prendre la décision. Il faut en parler à des personnes qui sauront écouter et accompagner.

Et même si pour moi, le deuil est fait depuis quelques mois, le fait d’en parler ouvertement ou d’écrire ce témoignage continue ce processus. L’écriture étant un très bon remède aux pensées négatives, intempestives…


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