Steaksisme est un livre à la fois drôle et affligeant. Drôle parce qu'il relate les campagnes marketing toutes plus genrées les unes que les autres. Affligeant parce qu'il relate les campagnes marketing toutes plus genrées les unes que les autres et qu'il montre un monde plus binaire que jamais, celui qui se trouve dans nos assiettes.

Nora Bouazzouni se prête à un exercice passionnant : démontrer à quel point notre assiette est empreinte des stéréotypes de genre. Elle le réussit avec brio, a grands renforts de publicités télévisuelles, d'études et d'empirisme. Grâce à cet ouvrage très bien sourcé, on se rend compte de la binarité de notre société, divisée entre l'homme viril et la femme douce (et perpétuellement au régime), mais aussi de l'intérêt économique, politique et sociétal d'entretenir cette dernière. Le contenu de nos assiettes fait en quelque sorte partie de la performance du genre : les femmes doivent être dans la restriction permanente et choisir les aliments les moins caloriques, tandis que les hommes doivent se remplir de protéines sous peine de manquer de virilité.
Un vrai homme, ça ne mange pas de yaourts ou de fruits, ça dégomme de la viande (rouge, évidemment) et des pommes de terre. Une femme, ça doit faire attention à sa ligne, en tout temps, et même si ça peut s'offrir un carré de chocolat de temps à autre, ça doit être fait avec culpabilité. "Pourquoi rougir d'éprouver tant de plaisir?" "Succombez à la tentation" : ces slogans vous parlent ? C'est normal, ils sont utilisés pour faire vendre du chocolat.
Le champs lexical des publicités alimentaires est précis, et le fait de genrer les aliments (yaourts délicats, viande virile) permet de vendre plus : hé oui, c'est comme les jouets ! Il y a encore 40 ans, on vendait des vélos rouges, blancs, noirs, qu'on pouvait réutiliser pour tous les enfants de la famille : aujourd'hui, il y a des vélos bleu pour les garçons et rose pour les filles. Pour peu qu'on manque de bol et qu'on fasse deux enfants de genre différent, nous voilà reparti.e.s pour des achats en doublon (souvent plus chers lorsqu'ils sont rose d'ailleurs, taxe rose oblige...).
Sans oublier la bonne dose de sexisme qui suinte à la fois de nos assiettes et des publicités : on use et abuse de ce qu'on appelle populairement le "marketing fainéant", c'est-à-dire, utiliser une femme à poil pour faire vendre un produit, à savoir, un burger juteux (à l'attention des hommes donc). A l'image de Carl's Jr "More than just a piece of meat" (Plus qu'un simple morceau de viande) ou de Burger King "It will blow your mind" (Ca va vous épater, sauf que blow est un verbe également utilisé dans le cadre d'une fellation).
Une phrase de Nora Bouazzouni dans Steaksisme résume selon moi à merveille la situation "Les hommes mangent avec et les femmes sans". Cela résume à merveille la division des femmes et des hommes depuis l'Antiquité : les hommes ont un sexe et les femmes une absence de sexe, ils sont forts quand elles sont faibles, etc ...
Comprendre ces mécanismes et entendre que la division sexuelle n'est pas biologique mais bien construite pour répondre à des impératifs sociaux, politiques et économiques, c'est prendre du recul quant à ses mécanismes individuels, pour mieux s'en défaire.
Bref, grâce à cet ouvrage, on décortique un peu plus encore une société patriarcale, binaire et ultragenrée. J'ajouterais aussi un énorme coup de cœur, à la fois pour le titre et pour la couverture qui est incroyable ! J'ai pu lire sur divers sites que certain.e.s lecteur.ices ont trouvé l'écriture lourde, trop universitaire : personnellement, je l'ai trouvé fluide, et tellement remplie d'anecdotes et de publicités que la lecture en devient ludique et donc très agréable.