Je crois que la première fois que j'ai entendu cette phrase, c'était au moment du naufrage dans le film Titanic. J'avais environ 10 ans.
Et je me souviens que depuis, cette phrase me questionne. Les femmes et les enfants d'abord. Mais pourquoi en fait ? Serait-ce finalement l'une des preuves du sexisme envers les hommes ?
Ahahahaha.
Non.
J'ai en effet découvert une étude menée par deux chercheurs suédois de l'Université de Uppsala, qui montre que sur les 15000 naufragés étudiés entre 1854 et 2011, la plupart du temps, les hommes s'en tirent mieux que les femmes. Le cas du Titanic est en fait une totale exception ! Selon cette étude donc, les hommes ont en fait deux fois plus de chance de s'en sortir que les femmes. Quant au personnel du bateau, ils.elles s'en sortent aussi beaucoup mieux car ont tendance à privilégier leur survie (dans le cas du Titanic, c'est donc là aussi une exception, le commandant ne fait en général jamais ça).

Mais ce n'était pas mon sujet de base. En fait, quand j'entends la phrase "Les femmes et le enfants d'abord", je comprends deux choses : qu'on infantilise les femmes en les mettant au même rang de décision qu'un enfant (c'est-à-dire un être humain sous la tutelle d'un adulte, qui n'a pas les mêmes droits et devoirs que ce dernier), et qu'on considère que les hommes peuvent se débrouiller seuls, sont plus résistants à la douleur que les femmes, qu'il faudrait protéger parce que les pauvres elles sont quand même pas dégourdies. Je comprends aussi une chose : il faut sauver les femmes et les enfants, pas parce qu'on tient plus à elleux, mais bien parce que dans le lot, il y a des utérus, des ventres, qui vont donc servir à repeupler le pays après n'importe quelle catastrophe !
C'est d'ailleurs une pensée que beaucoup de personnes partagent, comme j'ai pu le lire dans cet article. Selon une étude sortie en 2016 pour laquelle on a interrogé des hommes et des femmes en leur demandant de choisir le sexe de la personne à sauver dans des situations dangereuses, c'est dans la majorité des cas l'homme qui est choisi pour mourir / souffrir plutôt que la femme.
Alors, est-ce parce que les hommes sont plus résistants à la douleur ?
Là encore, non ! Pas de bol ! Oui, j'ai encore trouvé une étude à ce sujet (vous avez remarqué que j'adore les études?) : plusieurs études montrent* en effet une différence de tolérance à la douleur en fonction du sexe ET du genre (intéressant) ! Le seuil de tolérance de la douleur serait plus faible chez la femme, parce que, de par les stéréotypes de genre, nous avons moins peur de demander de l'aide, d'aller consulter, ou de parler de nos souffrances, que les hommes. Mais d'un autre côté, les femmes seraient moins sensibles aux douleurs récurrentes ou chroniques (en même temps, le cycle menstruel tout ça tout ça) que les hommes, dont le souvenir d'une douleur ferait augmenter leur sensibilité.
Comme pour énormément d'éléments de nos vies quotidiennes, le fait d'associer des caractéristiques spécifiques à chaque genre (féminin et masculin puisque notre société reste encore en 2020 on ne peut plus binaire) créé effectivement des disparités dans la société. Dans ce cas précis, on associe le masculin à la force, l'autonomie quand le féminin est doux et dépendant. La question n'est pas tant de savoir si c'est bien ou mal de privilégier un genre (la réponse c'est non, on doit essayer de sauver le maximum de gens lors d'un naufrage par exemple), mais dans quelle mesure les stéréotypes de genre influencent TOUTES NOS VIES, tous nos actes, toutes nos perceptions ... Ca influence tout, tout le temps.
Ainsi, il n'y a pas de sexisme anti-homme dans la phrase "les femmes et les enfants d'abord" : il y a en réalité l'objectivation des corps des personnes ayant un utérus, comme outil démographique. C'est cela qui mène, encore aujourd'hui à des propos virulents autour des femmes ne voulant pas d'enfant ou ayant recours à la ligature des trompes (une méthode de contraception définitive) : les femmes, avant d'être des humaines dignes de droits et de liberté, sont des moyens pour les nations d'augmenter le nombre de concitoyens pour des raisons économiques, politiques, guerrières, etc ...
Et c'est cela qui, depuis plusieurs millénaires maintenant, a relégué, souvent contre leur gré, les femmes au foyer, avec l'impossibilité d'en sortir ou de faire autre chose que d'élever des enfants, jusqu'à encore très récemment. On rappelle que les femmes ont pu accéder aux études supérieures à la moitié du 19ème siècle seulement ; qu'elles ont le droit de gérer leur argent seules via un compte bancaire depuis 1965 SEULEMENT.
*https://www.revmed.ch/RMS/2012/RMS-348/Hommes-et-femmes-sommes-nous-tous-egaux-face-a-la-douleur