"Les hommes qui tuent leur compagne ou ex compagne sont si nombreux que ce type de meurtre s'élève à plus de mille par an - une sorte de 11 septembre tous les 3 ans, si ce n'est que personne n'est prêt à déclarer la guerre contre cette terreur-là)."
Rebecca Solnit, Ces hommes qui m’expliquent la vie.
Selon l’article 421-1 du code pénal français:
“Constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes : 1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration [...]”.
Le Conseil constitutionnel ajoute plusieurs éléments :
“Le terrorisme a pour objet de remplacer le pouvoir en place par une autre forme d'autorité, une structure de direction par une autre forme d'organisation, fortement négatrice des droits fondamentaux.” Il s’agit également, pour le conseil, de “la poursuite d'une idéologie politique, philosophique ou religieuse, destinée à saper les fondements même d'une démocratie pluraliste dont elle refuse par principe d'utiliser les moyens légaux d'expression”.
Etat des lieux de l’ampleur du terrorisme
Sur le site du gouvernement français, on peut également lire que le djihadisme serait la première menace nationale de terrorisme. Ce qui est regrettable, c’est vraiment que cette même page internet ne fasse lieu d’aucun autre type de terrorisme. Pour la France, seuls les djihadistes peuvent être les auteurs d’actes terroristes.
Ainsi, selon la définition et les préoccupations françaises, il y a eu, entre 2000 et 2018, 263 personnes tuées dans des actes terroristes. Ces vies humaines étaient celles de personnes innocentes, qui ont été tuées pour diffuser une terreur ambiante sur le territoire, par le biais d’actions choquantes et surprenantes, qui participent à cette terreur.
Or, il s’agit d’une considération à la fois sexiste, mais aussi raciste.
En 2021, 113 hommes ont tué leur compagne ou ex-compagne. Ils étaient 102 en 2020. 146 en 2019. 121 en 2018. 109 en 2017. 109 en 2016, et 115 en 2016.

Source : études nationales sur les morts violentes au sein des couples. Délégation aux victimes. Ministère de l'Intérieur.
Et ces chiffres ne prennent en compte que les meurtres conjugaux hétérosexuels. Pas les femmes trans, pas les femmes lesbiennes. Pas les célibataires.
Pourtant, on arrive à un total de 815 hommes ayant tué leur partenaire ou ex-partenaire. 815 hommes qui propagent de la terreur, qui indiquent, en moyenne tous les trois jours, aux femmes de France, qu’elles ne seront jamais en sécurité, même au sein de leur couple. Ils s’ajoutent aux plus de 22 000 violeurs que l’on recense par an (même si les estimations sont bien supérieures). Mais aussi aux 290 000 agresseurs qui ont perpétré des agressions et violences sexuelles, si l’on prend en compte l’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) menée entre 2016 et 2018.
Il y a plusieurs centaines de milliers d’agresseurs en France, qui terrorisent les femmes au quotidien. Et par conséquent, des millions de femmes qui ne sortent pas après une certaine heure, qui modifient leur itinéraire, leur tenue, leur comportement, qui voient leur vie complètement chamboulée pour éviter les centaines de milliers d’agresseurs.
Quel budget pour contrer ces violences ?
De même, il y a tout un panel de mesures prises pour contrer la menace nationale que représente le terrorisme, ainsi qu’un budget conséquent. Selon un article datant de juillet 2020 et publié dans Le Monde, la lutte anti-terroriste a coûté plus de 9 milliards d’euros à la France depuis 2015.
En parallèle, 530 millions ont été débloqués en 2019 pour la promotion de l’égalité entre les genres, et parmi ce montant, une partie est allouée à la lutte contre les violences de genre, à la lutte contre les hommes qui violentent et tuent les femmes. En 2020, le montant était de 360 millions d’euros. Soit 0,02% du budget national. Si nous ne prenions en compte que la “meilleure” année, en multipliant les 530 millions par cinq pour comparer le budget dédié au terrorisme et celui dédié aux violences de genre, nous arriverions à 2,6 milliards, contre 9 milliards.
Y a-t-il un terrorisme de genre ?
Si l’on reprend les définitions citées au début de cet article, on peut facilement percevoir que les violences faites aux femmes et en particulier les 815 féminicides perpétrés ces cinq dernières années. En effet, tuer une femme sous prétexte qu’elle vous quitte ou veut vous quitter est une atteinte volontaire à la vie de cette dernière. La répétition des méthodes employées fait de chaque meurtre isolé une entreprise ayant pour objectif de troubler l’ordre public.
Pourtant, personne ne le voit ainsi. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de troubler l’ordre public féminin. Et comme le masculin est universel, il occulte, encore et toujours, les spécificités liées au genre féminin. Quand des militaires tombent en combattant le terrorisme en Afrique, un deuil national est déclaré. Quand des civils meurent sous les balles des djihadistes, un deuil national est déclaré.
Pourquoi qu’il y a-t-il pas de deuil national pour les femmes qui meurent à cause de la terreur décomplexée des hommes ?
Parce que notre pays baigne dans une misogynie décomplexée.
Cette idée, développée par Rebecca Solnit dans l'ouvrage que je vous citais au début de l'article, a également été mise en avant par Catharine McKinnon, avocate féministe qui essaya de penser en 2005 le "11 septembre des femmes". Elle remarqua en effet que le nombre de victimes du 11 septembre (3000) équivaut au nombre de femmes assassinées par des hommes en une année seulement. Elle explique, et je cite pour ce faire Martine Delvaux dans son ouvrage Le Boys club, "la violence faite aux femmes n'est par perçue comme une guerre parce que les Etats n'en sont pas tenus responsables". La violence que les hommes perpétuent à l'égard des femmes échappe ainsi aux règles du terrorisme parce qu'on peine à mettre au centre du problème les meurtriers, à les définir concrètement, à les sexuer.
Dans les médias, personne ne parle jamais de ça : les femmes meurent, c'est tout.
Pourtant, de l'autre côté, on n'hésite pas à parler de Terreur. En 2019, le torchon Valeurs Actuelles publiait un dossier intitulé "La nouvelle terreur féministe" dans lequel il s'insurge des activistes "Elles sont militantes, se disent journalistes et sèment une forme de terreur dans la vie politique et médiatique."
Or, rappelons que les femmes meurent sous les coups et les armes des hommes, principalement. Que la peur n'a toujours pas changé de camp. Et que nous sommes trop nombreuses à vivre dans cette peur.