Aujourd'hui, c'est le 8 mars 2023, nouvelle journée internationale pour les droits des femmes. Année après année, j'ai l'impression que rien ne change. D'avoir les mêmes débats avec des hommes sexistes, d'avoir un entourage qui n'a toujours pas bougé d'un pouce contre les violences, de répéter les mêmes arguments. En ce 8 mars, je me suis dit qu'il était temps de se donner du baume au cœur en faisant un état des lieux positif, six ans après #MeToo, de ce qui a changé.

Une quatrième vague féministe ?
Tout d'abord, il me semble important d'ancrer nos luttes et nos pratiques dans un continuum : nous sommes indéniablement en pleine quatrième vague féministe.
Pour reprendre le résumé que fait la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, “l’accès à la citoyenneté”[1] était le cœur de la lutte de la première vague féministe, matérialisé par le droit de vote. La seconde vague, qui émerge dans les années 60-70 en Occident, se concentre sur le droit à disposer de son corps, avec l’accès à la contraception et à l’avortement libre, dans une optique d’égalité totale avec les hommes. A partir de la fin des années 1980, la troisième vague vient complexifier la pensée féministe, notamment grâce à la notion d’intersectionnalité, un concept initié par Kimberlé Crenshaw en 1989. L’objectif est de mettre fin à l’homogénéité du traitement de “la femme” en mettant en avant le triptyque “race, genre, classe” pour montrer les différentes discriminations que peuvent vivre les femmes. Crenshaw et d’autres féministes racisées (Lorde, Davis, hooks) permettent l’émergence du black feminism. Cette troisième vague se caractérise également par une théorisation profonde des réflexions féministes, notamment grâce à Judith Butler, Monique Wittig, ou Françoise Héritier, mais aussi grâce au développement des études de genre (gender studies) qui se développent dans les universités étasuniennes dès 1990[2].
Après une décennie de calme, divers événements ont vu naître des mouvements de lutte pour les droits des femmes et minorités de genre partout dans le monde.
Ainsi, même si la date de début fluctue en fonction des pays et des autrices, une quatrième vague féministe a commencé à se dessiner à la fin des années 2000 (pas mal prennent pour ancrage le mouvement Femen né en 2008), mais celle-ci a littéralement explosé avec les réseaux puis #MeToo en 2017.
Six ans après #MeToo, qu'est-ce qui a changé ?
D'accord, nous sommes dans une nouvelle période de luttes féministes très actives. Mais concrètement, ça a changé quoi ? Parfois, quand on a la tête dans le guidon, on perd pied, on baisse les bras. Ca m'arrive très souvent. Et puis parfois, on relève la tête, on prend du recul, et on se rend compte du chemin parcouru. Et quel chemin.
Le féminisme est partout
Si l'on attribue souvent la vulgarisation du mot "féminisme" et sa diffusion à Beyoncé et son concert en 2014, où les lettres du mot se sont enflammées sur scène, force est de constater que c'est bien le travail acharné de militantes et militants, d'autrices, d'associations, de politiciennes et journalistes engagées qui a ancré le féminisme dans le débat public. Ouvrez n'importe quel média d'information généraliste, peu importe son bord politique : on y parle au quotidien, peut-être un peu moins souvent que la crise climatique c'est vrai, mais quand même, de sujets féministes. Qu'ils soient de gauche ou d'extrême-droite, qu'ils le qualifient de "wokisme" ou d'islamo-gauchisme, tous les médias se réjouissent ou s'inquiètent du féminisme.
Et c'est une excellente nouvelle ! Cette viralité a en effet permis de nombreuses évolutions au fil des années, dans de nombreux pays.
Je suis convaincue que cela a changé le paradigme de pensée de milliers de femmes. Découvrir le concept de charge mentale grâce à la BD d'Emma en 2017, Fallait demander, alors qu'elles pensaient juste que c'était normal d'en chier pendant que leur mec continuait à gravir les échelons dans leur entreprise, c'est un énorme pas. Découvrir aussi, que non, ce n'est pas juste elles qui subissent les viols à répétition de la part de leur compagnon (et découvrir par le même temps que oui, on peut subir un viol quand on est en couple), c'est énorme aussi.
Mais surtout, les choses ont changé d'un point de vue institutionnel, législatif, en France, même si de nombreuses informations nous montrent des vents contraires :
La notion d'outrage sexiste a été introduite dans le code pénal en 2018. Concrètement, elle permet de punir toute manifestation de sexisme, qu'il s'agit de paroles ou d'actes, qui sont punis par une amende de 750 euros.
Les crimes sexuels sur mineurs ont vu leur délai de prescription allongé de 20 à 30 ans, et l'on sait à quel point cela est important, certaines victimes ayant besoin de nombreuses années avant d'être assez en confiance pour parler.
Notre pays a également mis en place le prélèvement à la source des pensions alimentaires impayées : 30% des pensions alimentaires ne sont en réalité pas payés par les ex-conjoints, la CAF peut donc désormais saisir directement le montant pour régulariser la situation, ce qui permet d'aider des femmes précaires qui ont la charge de leurs enfants.
La part d'élues augmente (lentement, c'est vrai), et 20% des postes de mairie sont occupés par des femmes. La première mairesse transgenre a aussi été élue en 2020, il s'agit de Marie Cau.
Le mot féminicide a fait son entrée dans le Larousse en 2021, après que Le Petit Robert l'ai déjà ajouté en 2015. Les mots ont leur importance car ils permettent aussi de diffuser la légitimité de certaines idées au plus grand nombre.
La contraception est désormais gratuite pour les personnes entre 18 et 25 ans, sans ordonnance en pharmacie. Cela facilite les démarches mais aussi permet à de nombreuses jeunes femmes de ne plus subir un certain contrôle parental, parfois de mêche avec le médecin de famille.
Dans le sport, une vague de signalements d'abus sexistes et sexuels avait eu lieu début 2020, qui a donné lieu à 67 interdictions d'exercer, entre autres.
Le congé paternité est passé de 14 à 28 jours en juillet 2021. Cela reste ridicule à côté des 16 semaines accordés aux femmes mais le débat est là, c'est un début.
Annie Ernaux a remporté le Prix Nobel de Littérature en 2022, le Prix Goncourt a été attribué à Brigitte Giraud. Quand on sait à quel point les femmes ont été évincées de l'écriture et que le mot "autrice" fait encore grincer des dents, ce sont deux symboles fantastiques !
Et en fait, fort heureusement d'ailleurs, la liste est TRES longue, que ce soit en France ou partout ailleurs. Rappelons-nous que - même si la justice n'est pas notre alliée et qu'elle ne sera jamais une alliée féministe - Harvey Weinstein a été condamné à 23 ans de prison. Cela aurait pu paraître inimaginable il y a encore quelques années, pour une personne aussi riche et puissante que lui.
Et pourtant, le chemin reste long, très long
Le Baromètre sexisme 2023, publié par le Haut Conseil à l'Egalité en France, montre que le sexisme a encore de beaux jours devant lui, c'est vrai. Mais en réalité, ce rapport qui témoigne d'une misogynie décomplexée doit être lue à plus grande échelle. Il ne s'agit pas seulement d'hommes qui ne comprennent pas les femmes, qui se sentent menacés parce qu'on sait maintenant allumer un barbecue sans eux, ça va bien plus loin que ça.
Nous connaissons une montée fulgurante de l'extrême-droite et de la pensée conservatrice depuis une petite dizaine d'années, et même si l'on peut lire des expert.es inquiets, on dirait que la société civile ne semble toujours pas croire possible qu'un jour, la France soit dirigée par le Front National (oui, déjà commençons par arrêter de les légitimer en utilisant leur nouveau nom, ce parti restera le FN, fondé par d'anciens nazis). Il est temps que le féminisme ne soit plus une lutte pour que les femmes aient réellement le même salaire que les hommes, on s'en tamponne pas mal en réalité de ça. Il est temps que le féminisme ait tellement infusé notre société qu'il soit un projet global : pour remettre de l'humanité dans notre relation à la nature, aux autres humains et humaines, aux non-humains aussi, pour faire valser le système capitalisme qui nous aliène et nous appauvri toujours plus chaque jour et ces institutions qui nous font nous entretuer en manif pendant qu'ils continuent à manger grassement leurs repas - payés par nous.
Restons mobilisées, toujours actives, toujours sur nos gardes, et tissons dans nos têtes et dans nos quotidiens les liens qui nous permettent de penser une société féministe dans tous ses aspects !

[1] Froidevaux-Metterie, C. & Dujin, A. (2021). Le retour du corps féminin. [2] Ibid